jeudi 8 novembre 2018

Les cinquante ans de 2001, ou Retour des Utopiales

2001 : l'odyssée de l'espace, sorti aux États-Unis en avril 1968 (le 27 septembre 1968 en France) a cinquante ans. Un demi-siècle, pour un film sur le futur, c'est beaucoup. Pourtant, le légendaire bon film de science-fiction imaginé par Stanley Kubrick et Arthur C. Clarke tient le choc du temps qui passe, et il suffit de le revoir pour s'en convaincre. Il reste, également, absolument fidèle à ce qu'en disait le critique Michel Ciment : un film qui « exige et défie en même temps l'analyse ».

Je rentre tout juste du festival des Utopiales, à Nantes, où j'ai eu la chance d'être convié pour contribuer à célébrer cet anniversaire. Ce fut d'abord, vendredi 2 novembre au matin, une table ronde en compagnie de Marc Caro et d'Olivier Cotte, sous le feu des questions de Philippe Guedj. On en trouve un extrait conséquent sur Youtube, avec ce moment assez fantastique où Olivier Cotte explique, ce qui est vrai, que son chien adore 2001 (et pourquoi). Mes deux comparses ont assez magnifiquement su mêler la légèreté du ton et la pertinence du propos, moi un peu moins (si seulement j'avais su que les calembours étaient autorisés…! ceux qui me connaissent comprennent très bien ce à quoi les Utopiales ont échappé). Cette table ronde est également évoquée sur le blog En attendant Nadeau.


Puis, le soir du même jour, j'ai eu le plaisir et l'honneur de présenter, seul, dans le cadre de l'université éphémère des Utopiales, une conférence d'une heure et demie qui s'intitulait « Le corps secret et musical de 2001 » et dont l'argument était le suivant :
2001 a marqué les esprits par son utilisation singulière de la musique, mélange de pièces classiques et contemporaines. Pourtant, une partition originale avait été commandée au compositeur Alex North. À quoi le film aurait-il ressemblé si Kubrick avait emprunté cette voie ? Quels autres choix a-t-il envisagés ? Hervé de La Haye vous invite à imaginer, à entendre et à entrevoir ces mille autres 2001.
Cela s'est fort bien passé et je remercie, chaleureusement, celles et ceux qui se sont déplacés pour cette longue immersion dans les différentes partitions musicales de 2001. Seul bémol (en musique, il en faut) : entre 14 pages de notes, de nombreux extraits audio et plus de 50 minutes d'extraits vidéo, je n'ai évidemment pas pu aller au bout de mon exposé (c'était prévu ainsi, cela n'est pas grave, j'ai privilégié une forme plus vivante qu'un « cours » un peu professoral qui m'aurait permis de tout dire mais sans doute aussi d'endormir l'auditoire).

Toujours est-il que je m'interroge à présent sur ce que je peux faire de ce travail. Outre la préparation proprement dite, qui m'a mobilisé pendant des semaines, il s'agit de l'aboutissement de dix ou douze années de recherches ; et il y a quelques documents rarissimes que j'aimerais montrer.

Mais je ne sais pas encore sous quelle forme je peux diffuser tout cela : entre faire deux heures de vidéo sur Youtube ou bien publier ici un article interminable, je me demande ce qui serait le pire. L'une des difficultés, ce sera de montrer (puis-je le faire ?) les passages du film que j'ai remontés avec d'autres musiques. Je doute fort que Warner et les ayant-droit de Kubrick (pour des raisons que je conçois) m'autorisent à mettre en ligne d'énormes morceaux du film sous une forme modifiée. Il faut que je réfléchisse encore un peu à la meilleure manière de procéder. (Il y a toujours la solution qui constiste, pour ne pas essuyer un refus, à ne surtout pas demander ; mais Christiane Kubrick, Katharina Kubrick-Hobbs ou Jan Harlan ne sont pas des gens que j'ai envie de traiter par le mépris.)


Je veux profiter de ce billet pour dire le bonheur assez rare qu'a constitué pour moi cette édition 2018 des Utopiales. Les conférences, tables rondes, expositions dont j'ai été public m'ont constamment intéressé, stimulé, ému. Plus encore, les rencontres en cascade qui ont donné toute leur saveur à ces trois journées nantaises font les meilleurs souvenirs et, dans un exercice probablement narcissique mais absolument sincère, je veux citer les plus belles, les plus sympathiques, les plus enrichissantes.

Il y a eu, d'abord, les multiples conversations, parfois brèves, parfois développées, qui se sont nouées comme de jolis impromptus autour d'un café, à tous moments de la journée, petit déjeuner compris ; je pense en particuliers aux moments de calme avant la fièvre des conférences que j'ai partagés avec le talentueux Lloyd Chéry, mais également avec Laurent Genefort, qui a évoqué avec passion et clarté ses travaux en cours, avec Jean-Daniel Brèque qui m'a donné, quelques heures avant d'entrer en scène pour célébrer Theodore Sturgeon, quelques indications précieuses, avec Élodie Serrano qui m'a fait l'honneur de m'accueillir sur un coin de table, un vendredi matin où les places étaient chères, mais aussi à Anouk Arnal et Éric Picholle qui m'ont tenu compagnie dans les brumes mentales d'un petit matin, sans oublier Lloyd Chéry (de nouveau) et Laurent Whale dans les brumes mentales du matin suivant.

Je veux saluer aussi les compagnons des déjeuners et dîners à la cantine du festival, occasion de se détendre entre deux conférences, de faire parfois le debrief des conférences passées ou de passer en revue celles qui arrivent, de lancer de nouveaux sujets de réflexion, et (éventuellement) de ne parler de rien, ce qui est un luxe exceptionnel ; salut, donc, à Mathias Echenay, Philippe Curval, Gérard Klein, Sylvie Lainé, ainsi qu'aux indispensables Simon Bréan et Matthieu Walraet, présents comme en écho à nos déjeuners du lundi un peu loin dans l'espace et le temps ; et merci au toujours surprenant Xavier Mauméjean pour m'avoir fort à propos signalé un film dont j'ignorais tout (L'Opération diabolique, de John Frankenheimer).

Ma gratitude va à Olivier Cotte pour son soutien technique tout autant qu'amical, à Antoine Mottier pour la même raison, ainsi qu'à Jeanne-A Debats sans qui nous ne serions pas tous à Nantes et moi, en tout cas, certainement pas.


Il eût fallu que je cite ensuite des personnes dont j'ignore le nom. Celles de l'accueil, d'abord, qui ont toujours résolu tous les problèmes même les plus graves (besoin urgent d'un bic et d'un stabilo pour finir de préparer un texte, besoin d'un ticket repas). Et les personnes anonymes qui m'ont fait le cadeau de venir discuter de 2001 le jeudi soir et le vendredi, parfois au hasard de nos déplacements dans la Cité des congrès ; celles et ceux à qui j'ai promis de communiquer des éléments (informations, vidéos, partitions…), j'attends votre email.

Enfin et surtout, peut-être, je veux remercier l'incroyable Ange (c'est son nom) qui m'a littéralement kidnappé au détour d'un couloir du pôle ludique, au prétexte suivant : « Tu veux venir faire le loup-garou ? On n'est que quatre… » Pris de cours, j'ai répondu positivement et une seconde plus tard, sous l'œil amusé de sa sœur, elle abordait un autre passant : « Tu veux jouer au loup-garou ? On n'est que cinq… » et je me disais que je m'étais peut-être fait avoir. Et je me suis retrouvé autour d'une table, pendant une heure, à jouer aux Loups-Garous de Thiercelieux en compagnie d'enfants, de jeunes et d'adultes d'âges divers, peut-être le moment le plus amusant et le plus inattendu de ces trois journées ; merci à Ange, Louise, Emma, Solenn pour m'avoir accueilli puis tué un nombre incroyable de fois (ne jouez jamais à ce jeu avec des enfants : ils commencent toujours par tuer tous les adultes, c'est tellement plus amusant), et un salut spécial à Lucie-Lou avec qui la discussion s'est interrompue un peu vite et à qui je voulais simplement dire ceci : Tu veux devenir écrivain, devenir cinéaste ? Prend du papier et un stylo, écris une histoire de deux pages avec un début et une fin, puis une deuxième, une troisième un peu plus longue, et ne t'arrête plus. Et prends un appareil photo ou un téléphone, un ordinateur, filme, fais ton montage, projette le résultat, archive-le, puis fais un second film, et ne t'arrête plus.

Celles et ceux qui feront les prochains 2001 étaient autour de cette table, en ce jour de novembre, j'en suis certain. Comme je suis d'un naturel patient, j'attends.

© Hervé Lesage de La Haye, novembre 2018.

vendredi 19 octobre 2018

Les musiques inédites des Mondes engloutis

La série animée Les Mondes engloutis (1985-1987), créée par Nina WOLMARK, est accompagnée par une partition musicale composée et dirigée par Vladimir COSMA. Cette bande originale, l'une des grandes forces de la série, est une combinaison de musiques d'origines diverses.

Elle comprend, d'abord, trois chansons :
  • Les Mondes engloutis,
  • la Danse des pirates,
  • le Flashbic.
Ces chansons sont utilisées pour les génériques ainsi que pour certains intermèdes musicaux. Il existe, pour chacune, un certain nombre de déclinaisons, où le nombre de couplets peut varier, ainsi de des déclinaisons instrumentales. Certaines versions restent inédites.

Elle comprend, ensuite, une partition symphonique originale, écrite et enregistrée pour la série. Cette musique comprend 8 morceaux :
  • Le Shagma
  • La Cité d'Arkadia
  • La loi des Mogokhs
  • Les Messagers du Shagma
  • Prisonniers du temps perdu
  • Les sept arcs-en-ciel
  • Le Nemkor d'Arkana
  • Le Nemkor d'Arkana (2e version, inédite)
Cette deuxième version du « Nemkor d'Arkana », plus courte, avec une fin différente, est celle qui est, le plus souvent, utilisée dans la série. Tous les autres morceaux, fort heureusement, ont été inclus sur le 33 tours de la bande originale, puis repris en CD.

« La Cité d'Arkadia » a, en outre, donné lieu à deux variations qui en sont des mixages différents : une version avec la flûte traversière jouant le thème en solo, et une faisant uniquement entendre les arpèges au piano électrique. Ces deux variations sont inédites.


Pour compléter et élargir la palette sonore de la série, Vladimir Cosma a permis au réalisateur Michel GAUTHIER de piocher dans sa banque musicale personnelle, donc dans ses œuvres antérieures (musiques de films, de téléfilms, disques d'illustration sonore). Certaines de ces musiques ont, par la suite, été incluses sur les disques de la BO des Mondes engloutis mais il ne s'agit pas, à strictement parler, de musiques originales. Sur le 33 tours de la bande originale des Mondes engloutis, la piste « Dans le désert de Barkar » appartient à cette catégorie (elle a été écrite et enregistrée dix ans plus tôt pour la série Michel Strogoff).

Lorsque la réalisation de la deuxième saison des Mondes engloutis a été mise en chantier, la production a passé commande d'une partition originale supplémentaire. Celle-ci n'a pas été enregistrée par un orchestre symphonique, mais arrangée pour piano et synthétiseurs. Elle n'a pas donné entière satisfaction au réalisateur et un grand nombre de morceaux n'ont jamais été utilisés dans le dessin animé. À ce jour, la totalité de cette bande est totalement inédite. Elle contient, pour beaucoup de morceaux, plusieurs versions qui se distinguent par d'infimes différences dans les arrangements ou le mixage.

Ces nouvelles musiques utilisées dans la série sont au nombre de 5 (avec, parfois, deux mixages différents pour chacun) :
  • Les adieux
  • Éternel retour [2 versions]
  • L'oracle [2 versions, mais version 2 pas utilisée dans la série]
  • Affreux pirates [2 versions]
  • Rues désertes [2 versions, mais version 2 pas utilisée]
« Rues désertes », qui n'est utilisé qu'une seule fois dans toute la série, est en réalité une piste contenant, isolées, les percussions du second mixage de « L'oracle » (non utilisé dans la série).

Un morceau supplémentaire existe (enregistré isolément) ; il s'agit d'une variation rock sur le thème des pirates :
  • Le rock pirate

Ce n'est pas tout ! Il est arrivé, ponctuellement, qu'une musique supplémentaire soit enregistrée, sur le vif, pour répondre aux besoins d'un épisode spécifique. Ainsi, pour l'épisode Gog et Magog, Vladimir Cosma a fait enregistrer une série de 8 pistes instrumentales pour claviers évoquant des chœurs, pour accompagner les chants de la porte de Gog et Magog, ainsi qu'un son strident pour évoquer le sifflement du diapason (ce même son a ensuite servi, dans d'autres épisodes, à illustrer les scènes où l'Orichalque se met à briller). Les 7 premières pistes sont en réalité des mixages partiels de la 8e, dont certaines voix sont coupées de façon à produire un total de 8 morceaux. Tous n'ont pas été utilisés.

Dans sa version complète, cette musique n'est pas inédite en CD : elle a été réutilisée dans le film Cache-Cash (1994) et se trouve incluse dans sa bande originale. C'est, pourtant, une musique originale des Mondes engloutis. Vous pouvez l'écouter ici :


Pour d'autres épisodes, des plages musicales courtes ont été enregistrées :
  • plusieurs solos de guimbarde (pour l'épisode L'Homme-tambour, notamment)
  • quelques solos de violon (pour Oncle Albert), sans doute interprétés par Vladimir Cosma lui-même,
  • des arpèges de guitare pour la ballade de Chanteplume (épisodes La Cour des miracles, Cyrano de Borbotrak, Casino pirate).

Actuellement, seules les 3 chansons (dans leur principales déclinaisons), les 7 principales pistes symphoniques ainsi que le « Rock pirate » constituent la bande originale du dessin animé telle qu'elle est proposée sur CD et en version dématérialisée. Cela laisse un grand nombre d'inédits, dont quelques merveilles. Une véritable réédition collector de la bande originale des Mondes engloutis serait donc possible. Vladimir Cosma ne semble pas y être opposé, d'ailleurs : il a évoqué le sujet dans une interview.

Pour vous en convaincre, j'ai rassemblé dans un montage vidéo en deux parties la totalité des musiques spécifiquement écrites pour Les Mondes engloutis et absentes de la bande originale du dessin animé.


Pour terminer en beauté cette exploration, je vous propose d'écouter une reprise du thème pour piano et claviers que j'ai appelé « Les adieux»  et qu'on entend, en particulier, dans la belle séquence finale de l'épisode Le secret de l'orichalque. Ce thème a été réinterprété et enregistré par Franck Mannigel... Bravo à lui, et merci.



© Hervé Lesage de La Haye, octobre 2018.

vendredi 30 mars 2018

Hommage à Patrick Dusoulier

Patrick Dusoulier était traducteur. Depuis juillet 2007 jusqu'à ces derniers mois, j'ai eu le bonheur de le côtoyer, lors des "déjeuners du lundi" qui réunissent, puis plus d'un demi-siècle, auteurs et amateurs de science-fiction. Il est mort il y a quelques jours, brutalement, des suites d'un cancer.

Patrick, après avoir fait carrière dans un grand groupe pétrolier, était venu à la traduction littéraire tardivement, à l'âge de la retraite. Gérard Klein, créateur et directeur de la collection "Ailleurs & demain", chez Robert Laffont, a décelé son potentiel et lui a mis le pied à l'étrier. En quelques années, il est devenu une figure incontournable de la traduction dans le domaine de la science-fiction, offrant aux lecteurs français les romans récents de Margaret Atwood, Usula Le Guin, Charles Stross, Dan Simmons et Ian M. Banks. Il a, également et surtout, activement contribué à promouvoir l'oeuvre de Jack Vance, son auteur favori, s'employant à faire traduire et faire paraître ses inédits.

Pendant toutes ces années, il a également traduit, avec constance et conscience, les suites de Dune commises par Kevin J. Anderson. A chaque fois qu'un nouveau volume paraissait, il essuyait quelques sarcasmes, et tentait parfois de nous convaincre que ces livres n'étaient pas inintéressants. Je n'en ai jamais ouvert un seul, mais chacune de ces parutions est un excellent souvenir, et il y eu eut beaucoup.

En 2012, sa traduction du livre de Iain M. Banks Les Enfers virtuels fut couronnée par le prix Jacques Chambon de la traduction.


Lors de nos déjeuners, Patrick se distinguait par une voix sonore, souvent outrancièrement sonore, par une susceptibilité d'un niveau presque aussi élevé, et une grande constance dans le calembour de tradition almanach Vermot. Ces qualités contribuaient évidemment à faire de lui un convive dont l'absence ne pourra que se faire cruellement sentir.

Il était aussi d'une générosité toujours surprenante, offrant une bonne bouteille ou une tournée de grappa pour célébrer toute occasion qui lui semblait importante, ou simplement parce qu'il en avait envie. Je le soupçonne d'ailleurs fortement d'avoir, parfois, inventé des prétextes pour offrir sa tournée. Car lorsque je l'ai rencontré pour la première fois, en juillet 2007, il offrait justement un verre à toute la tablée pour fêter ses trois ans au "déjeuner du lundi", je m'en souviens comme si c'était hier. Et puis, quelques années plus tard, il payait également sa bouteille pour célébrer (je ne sais plus exactement) cinq ans ou peut-être huit ans de présence, sauf que ce jour-là (je ne pouvais me tromper, me rappelant, moi, avec précision l'anniversaire de l'été 2007) ne coïncidait ni en mois ni en année avec l'anniversaire précédent. Je n'ai jamais su s'il le faisait en toute conscience ou si son cerveau, qui jugeait que fêter quelque chose était sans doute plus important que la chose fêtée, fabriquait et lui envoyait dans ce but des informations fausses. Je me suis bien gardé de le dénoncer, en tout cas.

Quand il faisait des présentations à un nouvel arrivant, il me désignait toujours comme "grand spécialiste du cinéma" et je suis heureux que dans la plupart des cas, cette réputation qui eût été usurpée ne se soit pas installée. A l'origine de cette haute opinion qu'il avait de moi, il y avait un débat, toujours lors de ce déjeuner de juillet 2007, au cours duquel les personnes présentes cherchaient le nom du cinéaste ayant mis en scène le film 1984. Les noms qui surgissaient, je le savais, étaient tous faux, mais je trépignais car je ne parvenais pas à trouver moi non plus la réponse à cette question. Soucieux de faire bonne impression, j'ai alors "fait appel à un ami" et envoyé un texto discret, qui m'a permis de murmurer, quelques minutes plus tard, "Michael Radford". Patrick en fut tellement impressionné que j'ai rapidement révélé que l'information m'avait été transmise "de l'extérieur". Mais cette première impression lui est restée.

Patrick Dusoulier était un cinéphile averti, d'une culture ample. Et comme beaucoup de cinéphiles, il était totalement opposé à l'idée même de doublage, considérant que changer la voix d'un acteur était une entorse insupportable à l'oeuvre cinématographique. Ce point de vue m'a toujours semblé, de la part d'un traducteur littéraire, paradoxal ; mais jamais je n'ai réussi à le convaincre qu'un roman traduit, dont il reste 0% du matériau originel, est une violence beaucoup plus grande faite à l'oeuvre qu'un film doublé, dont la bande sonore est, il est vrai, transformée (et pas totalement : musique et bruitages sont inchangés) mais dont dimension visuelle, elle, n'est aucunement modifiée. La dernière fois que j'ai tenté de soutenir ce point de vue, c'était en 2017, j'ai rapidement fait machine arrière car j'ai vu, effaré, que mon interlocuteur commençait à me soupçonner de dénigrer son métier ou, pire encore, de le comparer à cette abomination qu'on appelle le doublage des films. Et qui n'a jamais vu Patrick Dusoulier contrarié ne peut imaginer la frayeur qui m'envahit ce jour-là.

Patrick Dusoulier avait, aussi, un goût prononcé pour les films intensément macabres comme Saw et ses suites, qu'il ne cessait de me recommander en m'assurant "je pense que ça te plaira beaucoup", et je me demande encore ce qui pouvait lui faire croire une chose pareille (je n'ai jamais suivi ses conseils dans ce domaine, je l'avoue). Mais surtout, dès 2007 et la sortie française de Saw IV, nous nous amusions déjà de la possible sortie, un jour, d'un Saw VI puis d'un Saw VII dont les titres nous faisaient hurler de rire.

Il faudrait que je parle de son métier de traducteur. De son amour de la langue. Du grand bêtisier de la traduction, qu'il alimentait à chaque fois qu'il travaillait à la révision d'une traduction ancienne. Je ne le ferai pas. Il faut lire les livres qu'il a traduits ou retraduits. Ces dernières années, sa traduction nouvelle de Limbo est peut-être le travail qui lui a donné le plus de fil à retordre et dont il était légitimement fier.


Depuis trois ans, ma présence aux déjeuners s'est espacée, mais Patrick était toujours là, inamovible, et m'impressionnait par la sincérité vraisemblable avec laquelle il prenait de mes nouvelles et des nouvelles de mes enfants, dont il avait en tête prénom et date de naissance.

La dernière fois que je l'ai vu, c'était en novembre. Il venait de faire paraître l'ultime roman inédit de Jack Vance, un polar de jeunesse, L'Île aux oiseaux. Il en était très heureux, je crois.


Je vais relire son Terremer, je crois. Dont on me dit qu'une auteur américaine l'a écrit en anglais. En français, toutefois, le texte définitif porte la marque de Patrick Dusoulier.

© Hervé Lesage de La Haye, 30 mars 2018.

 

jeudi 15 mars 2018

« Résumer Tolkien » ou Le Hobbit à Roanne

En 1972, le Monty Python Flying Circus diffusait le sketch The ”Summarize Proust Competition“ (« Résumer Proust »)…


En 1966, Gene Deitch, réalisateur de dessins animés, principalement de cartoons, s'est vu confier un projet relevant de la gageure : adapter The Hobbit de J.R.R. Tolkien en un court-métrage de 12 minutes maximum, et de le faire en quelques semaines. Ce qui fut fait.

Remarquable à plus d'un titre, par ses partis-pris esthétiques et techniques, par ses choix d'adaptation radicaux, The Hobbit, production américaine réalisée à Prague, est aussi la seule adaptation à l'écran d'une œuvre de Tolkien menée à bien du vivant de l'auteur. Tolkien, toutefois, n'a jamais vu le film, qui fut projeté brièvement à New York, puis jeté aux oubliettes pendant 45 ans.

Invisible depuis, The Hobbit a refait surface sur Internet en 2012.


Le vendredi 23 mars 2018 à Roanne, dans le cadre du colloque Au milieu de l'image coulent les textes consacré à l'adaptation littéraire en court-métrage animé, je reviendrai en détail sur l'histoire étonnante, encore en partie obscure, de ce Hobbit longtemps oublié.

Et si tout se passe bien, un article devrait suivre !