mercredi 15 novembre 2017

Hommage à André Ruellan

 
Pour Philippe, Gérard, Joseph, Marianne, Patrick, Christophe, Olivier, Matthieu, Simon…


Le 10 novembre 2016 disparaissait André Ruellan, qui fut à la fois scénariste de cinéma et de télévision (pour Pierre Richard, Alain Jessua et Jean-Pierre Mocky) et, sous le pseudonyme de Kurt Steiner, l'un des meilleurs auteurs français de science-fiction de son temps. Les Utopiales de Nantes lui ont rendu hommage lors d'une table ronde, le 2 novembre dernier. Parce que j'aime ses livres et parce que j'ai eu la chance de connaître un peu l'homme, je reprends ici, sous une autre forme, le travail que j'avais fait pour cette table ronde.

Jeunesse

André Ruellan est né le 7 août 1922 à Bécon-les-bruyères (commune de Courbevoie). Son père, soudeur de profession, était grand amateur de livres.

« Mon père était anarcho-syndicaliste ; matérialiste en ce qui concernait Dieu, en revanche plutôt mystique à propos de la vie future. Comme beaucoup de socialistes vers la fin du siècle dernier, il avait été influencé par un courant spiritualiste venu des Indes. Vers douze ans, par exemple, il m'a fait lire les Maisons hantées de Camille Flammarion et je croyais aux fantômes dur comme fer. »

À seize ans, André Ruellan entre à l'École Normale d'Instituteurs de Versailles. Alors, déjà, il pense à écrire. À quatorze ans, il avait commencé un roman où il était question d'insectes géants.

Il traverse la guerre tant bien que mal, échappe à un départ pour le STO en Allemagne. Quinze jours après le débarquement, il manque de peu d'être fusillé comme otage. Il a tout juste vingt-deux ans.

Il devient instituteur et enseigne pendant deux ans, mais en 1947, il commence des études de médecine.

Années 1950

L'envie d'écrire ne l'a pas quitté. En 1953, il publie son premier roman de science-fiction, Alerte aux monstres, sous le pseudonyme de Kurt Wargar. En 1956, il commence à publier des romans fantastiques dans la collection « Angoisse » du Fleuve Noir sous le nom de Kurt Steiner. Il écrira 22 romans pour cette collection en moins de cinq ans.

« Quand j’ai commencé à écrire au Fleuve Noir, beaucoup d’auteurs français utilisaient des noms anglo-saxons, pour me démarquer j’en ai pris un allemand. À l’époque la signature appartenait à la maison d’édition donc si je voulais écrire ailleurs, il m’en fallait d’autres. Et comme pour l’histoire de la parcelle d’âme que l’on vous prend en vous photographiant, j’ai préféré conserver mon nom et vendre un leurre. »

La même année, il soutient son doctorat de médecine. Il tiendra un cabinet de généraliste dans le quartier des Halles jusqu'en 1970.

« Il aimait bien la médecine, explique son ami Philippe Curval, mais pas tenir un cabinet. Il passait ses soirées avec nous, dans le comité éditorial de Fiction avec Alain Dorémieux, Jacques Goimard, Gérard Klein et moi-même, nous baladait dans sa Buick décapotable et souvent les patients l'attendaient sur le palier le lendemain. »

En 1958 paraît son premier roman pour la collection « Anticipation » du Fleuve Noir, Menace d'outre-terre. Il écrira 11 volumes pour cette collection, qui vont l'imposer comme l'une des grandes plumes de la science-fiction.

Années 1960

En 1963 paraît, sous le nom d'André Ruellan, le Manuel du Savoir-mourir, illustré par son ami Roland Topor et qui sera plusieurs fois réédité. Ce livre étonnant remporte cette année-là le Prix de l'humour noir et vaut à son auteur d'être remarqué par André Breton. Ruellan se rapproche alors des surréalistes, puis rejoint un temps le mouvement Panique avec Topor mais aussi Arrabal et Jodorowski.
En 1965, il travaille pour la première fois pour la télévision, signant les poèmes de Marie Mathématique, un étonnant petit dessin animé de science-fiction dans lequel, sur des dessins de Jean-Claude Forest, les textes d'André Ruellan sont dits et mis en musique par Serge Gainsbourg. Six épisodes sont produits et diffusés d'octobre 1965 à avril 1966.



À la même époque, sous le pseudonyme de Kurt Dupont, il sévit dans les pages de Hari-Kiri, comme le font ses amis Curval et Topor.

À la fin des années soixante, à la Coupole, il fait la connaissance d'un jeune comédien de 35 ans, plein de promesses, au physique dégingandé et au visage lunaire, qui se cherche encore un personnage pour exister. André Ruellan lui dit : « Ouvrez les Caractères de La Bruyère, et relisez Ménalque. » Ce comédien s'appelle Pierre Richard. Et Ménalque, c'est le personnage du distrait.

Ruellan offre à Pierre Richard, sur un plateau, ce personnage auquel il sera identifié pour tout le reste de sa carrière. Ensemble, ils signent le scénario du film Le Distrait, que Pierre Richard réalise et qui sort en 1970, avec le succès que l'on sait. (André Ruellan fait une brève apparition dans ce film.) Deux ans plus tard, ils récidivent avec Les Malheurs d'Alfred.

Années 1970 et 1980

En avril 1970, il donne au magazine Midi-Minuit Fantastique un long et bel entretien dans lequel André Ruellan fait mine d'interroger Kurt Steiner.

En 1972 son roman Le Seuil du vide est porté à l'écran par Jean-François Davy.

En 1973, Gérard Klein lui ouvre les portes de la prestigieuse collection « Ailleurs & demain » en publiant Tunnel, premier roman de science-fiction à paraître sous le nom d'André Ruellan. En 1975, il réédite le diptyque Ortog de Kurt Steiner dans « Ailleurs & demain les classiques », agrémenté d'une longue préface de Jacques Goimard.

De 1973 à 1976, plusieurs de ses romans fantastiques sont adaptés en bande-dessinées dans la revue pour adultes Hallucinations. Au même moment, ses romans des années cinquante et soixante commencent à être repris en poche, d'abord ses romans d'angoisse, en Marabout fantastique (1974), au Masque fantastique (1976-1977) et en Super Luxe Fleuve noir « Horizons de l'au-delà » (1975-1983), puis ses romans de science-fiction, dans les trois collections créées et dirigées par ses amis Jacques Sadoul (J'ai Lu, 1976-1981), Jacques Goimard (Presses pocket science-fiction, 1978-1981) puis Gérard Klein (Le Livre de Poche science-fiction, à partir de 1987).

En 1975, il écrit son premier grand scénario pour Jean-Pierre Mocky, celui du film L'Ibis rouge, d'après Fredric Brown, début d'une collaboration qui durera 40 ans.

En 1984 paraît Mémo dans la collection « Présence du futur » chez Denoël. L'année suivante, ce roman est couronné par le Grand prix de la science-fiction française. En 1988, il dirige brièvement, avec Alain Garsault, la collection « Gore » du Fleuve Noir, qui sous sa férule s'orne de couvertures hallucinantes de Roland Topor.

Années 2000 et 2010

Tout au long des années 2000, André Ruellan, égal à lui même, octogénaire, continue de fréquenter chaque semaine le mythique Déjeuner du lundi, rendez-vous de la science-fiction qui existe depuis le début des années cinquante où j'ai le privilège de le côtoyer. Il aime à rappeler aux plus jeunes qu'il a vu le premier King Kong lors de sa sortie au cinéma, il établit des parallèles acides entre l'actualité politique du moment et ses souvenirs de l'Occupation, bref, il joue de son statut de figure éternelle de la science-fiction française et nous faisons tous comme s'il serait toujours là.

En 2006, Philippe Curval et lui contribuent à créer le Nouveau Grand Prix de la science-fiction française, dit Prix du lundi.

Début 2009 encore, alors qu'il a 86 ans, toujours malicieux et alerte, il apporte chaque lundi sur une clé USB la sauvegarde de son roman en cours, ce qui suscite toutes sortes de dialogues surréalistes comme « — André, tu as bien jeté ta clé à la corbeille avant de la retirer le l'ordinateur ? — Noooon, bien sûr que non ! » ou encore « — Tu enregistres régulièrement ton texte, pendant la saisie ? — Que veux-tu dire par-là, exactement ? » et des sueurs froides quant à la sauvegarde de ce précieux manuscrit.

Il continue à écrire jusqu'au soir de sa vie : des scénarios, des nouvelles, comme le glacial « Temps mort », dans le recueil collectif Retours sur l'horizon dirigé par Serge Lehman (2009).

Au début des années 2010, il s'efface un peu, fatigué, se déplaçant avec peine, mais garde l'esprit qui est le sien et signe encore trois scénarios pour Jean-Pierre Mocky entre 2013 et 2015.

Il meurt à Paris, le 10 novembre 2016, à l'âge de 94 ans. Il laisse 44 romans dont 16 de science-fiction, 30 films, une œuvre poétique considérable et largement inédite. Son extraordinaire avis de décès, publié dans Le Monde, a été largement remarqué et repris par la presse régionale et les réseaux sociaux.


« Presque tous ses romans, analyse son éditeur et ami Gérard Klein, même ceux réputés de science-fiction, penchent du côté du Fantastique, de l'œuvre sournoise de forces maléfiques et incompréhensibles, ombrées par la mort. »

© Hervé Lesage de La Haye, octobre/novembre 2017.

 
Sources :
— Alain Sprauel, « Bibliographie d'André Ruellan/Kurt Steiner », Biblio-SF n° 4, septembre 2010, p. 1-22.
— « Kurt Steiner et le fantastique de grande diffusion. A. Ruellan : entretien avec Kurt Steiner », Midi/minuit fantastique n° 21, avril 1970, p. 72-75.
— Gérard Klein, préface à Kurt Steiner, Les Océans du ciel, Le Livre de poche science-fiction, 1992.
http://www.quarante-deux.org/archives/klein/prefaces/lp27148.html
— Gérard Klein, préface à André Ruellan, Le Disque rayé, Le Livre de poche science-fiction, 1997.
http://www.quarante-deux.org/archives/klein/prefaces/lp27200.html
— Frédérique Roussel, « Le déjeuner fantastique », Libération, 21 janvier 2005.
http://www.liberation.fr/grand-angle/2005/01/21/le-dejeuner-fantastique_506852
— Frédérique Roussel, « André Ruellan dialogue avec la mort », Libération, 17 novembre 2016.
http://next.liberation.fr/culture-next/2016/11/17/andre-ruellan-dialogue-avec-la-mort_1528870

Merci à Alain Sprauel.

mercredi 4 octobre 2017

Il était une fois... l'homme censuré ?

La série animée Il était une fois… l'homme, écrite et réalisée par Albert Barillé, aura bientôt quarante ans. Depuis sa première diffusion, de septembre 1978 à avril 1979 sur la chaîne FR3, elle a connu un nombre de rediffusions record et a été exploitée de nombreuses fois en cassettes VHS (des années quatre-vingt jusqu'au début des années 2000), puis en DVD (à partir de l'an 2000), puis en Blu-ray (depuis 2013). Pendant plus de trente ans, cette série documentaire destinée à la jeunesse, qui entend balayer toute l'histoire de l'humanité depuis l'apparition de la vie sur terre jusqu'à la fin du XXe siècle, n'a pas subi la moindre modification ni de forme, ni de contenu. Cela peut sembler curieux : comment réagirions-nous, parents, si nous découvrions dans l'école de nos enfants des manuels scolaires vieux de plusieurs décennies ? en particulier pour enseigner l'histoire, matière dont le contenu s'enrichit à la fois avec la marche des événements et par l'évolution du regard que l'on porte sur le passé ? C'est pourtant bien grâce à la bienveillance des parents d'aujourd'hui, qui étaient les jeunes spectateurs d'hier, que Il était une fois… l'homme réjouit des générations successives d'enfants.


Au début des années 2010, la société Procidis annonce que sa série-phare va subir une restauration majeure et quelques transformations. Trente années et plus de rééditions et rediffusions à partir de masters vidéo datant des années soixante-dix, cela faisait beaucoup, et ne promettait pas de franchir l'obstacle des nouveaux supports haute-définition. Pour que la série continue à vivre, il fallait revenir aux origines de la production et sortir, pour la première fois depuis 1978, les négatifs de leur laboratoire.

Les négatifs sont donc scannés au standard haute-définition 2K, les cassures réparées, les poussières nettoyées, la colorimétrie corrigée. Procidis et son prestataire Mikros ont, ensemble, mené une très belle campagne de communication pour expliquer aux futurs spectateurs le processus en cours et l'investissement que cela représentait. À l'automne 2013, le résultat était là, spectaculaire ; la série pouvait être rediffusée en HD pour la première fois, et commercialisée sur support Blu-Ray. Parallèlement, un nouveau coffret DVD vient remplacer les précédentes éditions sur ce support.

On a pu lire, ici et là, quelques avis négatifs concernant le nouveau cadrage de la série, dont l'image originelle, au format 4/3, est maintenant proposée en 16/9. Je reviendrai sur ce sujet dans un prochain article.

À la recherche de Charles Martel

En mai 2015, à la suite d'une critique de la série sur le site ForgottenSilver, paraît l'étonnant commentaire d'un internaute, qui dénonce la censure de l'épisode d'Il était une fois… l'homme consacré à l'islam (épisode 8, « Les conquêtes de l'islam »). Le même jour, un autre confirme et surenchérit.


« Épisode sur l’Islam censuré ! Charles Martel ne sauve plus l’Europe de l’islam. Il n’est même pas cité. On ne montre pas non plus les armées musulmanes en fuite !
Diffusion de cet épisode tronqué le jour de l’ascension !
Bravo France 4 ! »
(14 mai 2015 - Jean)

« Effectivement. L’épisode sur les conquêtes de l’Islam a été expurgé de certaines séquences par rapport à la première diffusion en 1978 ! Rien d’étonnant ! »
(14 mai 2015 - FILIGRANE)


Ainsi, pour des raisons que ce deuxième internaute juge évidentes (mais que j'aurais beaucoup aimé lire sous sa plume), la figure tutélaire de Charles Martel aurait été purement et simplement supprimée d'Il était une fois… l'homme.

Pris de curiosité, je m'empresse de visionner l'épisode incriminé, qu'on trouve sur Youtube dans sa version restaurée (identique à celle diffusée à la télévision et exploitée en DVD et Blu-Ray). Effectivement, point de Charles Martel.



On trouve d'ailleurs, de nouveau, dans le commentaire de cette vidéo, une allusion à cette possible coupe dans l'épisode.

« Il ne s'agit pas de l'épisode intégral, des passages concernant Charles Martel et le repli de l'Islam suite à sa victoire à Poitiers ont été censurés et supprimés pour des raisons désolantes qu'on ne peut hélas qu'imaginer facilement… »
(Boba Fett, juin 2017)



Bien étonné, mais encore dans le doute, je sors donc mon coffret DVD d'une édition antérieure à cette restauration, à la recherche de Charles Martel. Et là, dans « Les conquêtes de l'islam », stupeur : toujours pas de Charles Martel ! Mon édition DVD date de 2004 mais son contenu est, à priori, identique à celle de l'an 2000, seul le packaging est censé avoir changé. Je n'ai pas en ma possession l'édition DVD de 2000, la première sur ce support, mais j'ai les coffrets VHS sortis la même année, fabriqué à partir du même master. Un vérification rapide me confirme que l'épisode 8, sur ces cassettes vidéos qui ont dix-sept ans, est exactement le même que celui qui a été restauré en 2013. Toujours pas de Charles Martel.

De plus en plus perplexe, je sors mes cassettes VHS d'une édition plus ancienne encore, celle de 1990. Même résultat.

Une chose est maintenant sûre : il est faux d'affirmer que cette séquence a été coupée récemment, puisqu'elle n'existait déjà pas il y a 27 ans. Mais a-t-elle seulement déjà existé ? Les effluves de complotisme qui émanent des commentaires qui m'ont propulsé dans cette recherche sont-ils plus pernicieux encore que je croyais, regrettant (de bonne ou de mauvaise foi) une séquence qui n'a jamais existé ?

La clef de l'énigme

Je commence à envisager de me rendre à l'Ina pour visionner l'épisode tel qu'il a effectivement été diffusé en novembre 1978. Mais je commence, aussi, à sérieusement m'interroger. À me dire que j'ai déjà, sans doute, passé beaucoup plus de temps à vérifier cette information que ne l'ont fait ceux qui l'ont publiée et relayée, et que j'aurais dû, déjà, parvenir à une conclusion. J'en tire deux hypothèses :
– soit la séquence n'a jamais existé (et tout est faux, il n'y a pas eu censure) ;
– soit… elle existe bel et bien.

Plusieurs personnes paraissent se souvenir de cette séquence, ce n'est probablement pas pure invention. Et si elle existe, il suffit de la trouver. Une fois que j'en suis arrivé là, en trois minutes, c'est fait. Je parcours en accéléré l'épisode 9 qui, heureux hasard, est consacré aux rois de la dynastie carolingienne, à laquelle Martel a donné son nom. Et bien sûr, bingo ! Charles Martel, Poitiers, les arabes, tout le monde est au rendez-vous.

Là où se loge l'erreur des paranos « on m'a coupé Charles Martel » et où, en même temps, Il était une fois… l'homme est une grande série, c'est que les deux épisodes concernés (8. « Les conquêtes de l'islam » et 9. « Les carolingiens ») proposent deux séquences similaires, au montage légèrement différent, pour évoquer le même événement. Le choc entre les armées de l'islam et celui des armées occidentales y est montré deux fois, de deux points de vue différents. La première fois, du point de vue arabe, dans l'épisode 8. La deuxième fois, dans l'épisode 9, le point de vue est occidental et la séquence se prolonge par l'évocation de Charles Martel.



Qui sont les désinformateurs ?

Il n'y a donc pas eu de censure concernant l'islam dans la version restaurée d'Il était une fois… l'homme. Les complotistes peuvent aller se rhabiller. Mais pourquoi cette fixation sur Charles Martel ?

Aujourd'hui, une partie de l'extrême-droite française ressasse l'idée selon laquelle Charles Martel aurait eu, de tout temps, une importance centrale dans le « récit national », jusqu'à ce qu'il en soit récemment gommé. Rien n'est plus faux. Comme l'ont montré les chercheurs William Blanc et Christophe Naudin, cette figure de l'histoire de France a vu son importance varier selon les époques, les régimes politiques et les courants de pensée. Dans le livre qu'ils ont consacré à ce sujet (Charles Martel et la bataille de Poitiers, de l'histoire au mythe identitaire, Libertalia, 2015), ils évoquent d'ailleurs, en passant, la série d'Albert Barillé qui nous occupe aujourd'hui :
[…] la télévision française parle peu de Charles Martel. Outre une émission historique de 1974 consacrée à l’affrontement de 732, le dessin animé de vulgarisation historique Il était une fois l’Homme (1978), évoque la bataille de Poitiers tant du point de vue des Arabes que de celui des Francs (les différentes incarnations des héros, Pierre et Gros, se trouvent en effet dans les deux camps).
Il y a près de vingt ans, Bruno Mégret, à la recherche d'une figure emblématique susceptible d'être au MNR ce que Jeanne d'Arc était au Front national, s'emparait de Charles Martel. En janvier 2015, après les attentats que l'on sait, Jean-Marie Le Pen affirmait « je ne suis pas Charlie du tout, je suis Charlie Martel si vous voyez ce que je veux dire ». La fachosphère ne l'avait d'ailleurs pas attendu pour brandir cette référence et dès 2014, des internautes peu avisés voulaient nous faire croire, donc, que certaines instances occultes, jamais nommées (le complot islamophile ?), avaient réussi à faire disparaître ce personnage historique d'un dessin animé. Eh bien, il n'en est rien !

Conclusion

Aucune censure n'est venue altérer Il était une fois… l'homme concernant Charles Martel et l'islam. On peut même dire, en revoyant l'épisode 9, que des clichés anciens y subsistent qui mériteraient discussion (la voix off affirme tranquillement « Charles Martel vient de sauver l'Europe de l'Islam »).

Mais il reste une question plus générale : la série a-t-elle, oui ou non, subi des transformations au cours du temps ? Comme je l'évoquais en introduction, cela pourrait se justifier : un enfant qui découvre aujourd'hui l'histoire par le prisme de cette série, c'est un enfant de 1978 qui apprendrait l'histoire dans un livre de 1938… en 1978, ç'aurait été impensable et vu de 2017, ça le reste largement. Il y a des choses terriblement datées, comme le regard porté sur la place des femmes et celle du personnage de Pierrette en particulier. (Dans le premier épisode, pendant une scène de chasse, un plan de coupe sur deux femmes homo habilis regardant avec un sourire béat les mâles en train de poursuivre un mammouth vaut son pesant de cacahuètes.)

Il était une fois… l'homme, cependant, n'est pas un manuel : c'est un récit, avec son rythme, ses personnages, ses musiques, ses émotions. Il me semblerait bien périlleux de vouloir mettre à jour le contenu car cela impliquerait de modifier la forme. Mais qui suis-je pour affirmer que cela n'a pas été le cas ? Il était matériellement difficile, à moins d'échelonner ce travail sur plusieurs mois, de visionner en parallèle les 26 épisodes sur les différentes éditions à ma portée, comme je venais de le faire pour l'épisode 8.

J'ai donc écrit à Procidis pour poser tout simplement la question : la série a-t-elle connu des modifications dans son contenu (montage, texte de la voix off) lors de sa restauration en 2013 ? Quelques jours plus tard, j'ai reçu une réponse éclairante de Gilles Bourgarel : Nous avons restauré à l'identique Il était une fois… l'homme et Il était une fois… la vie sans rien modifier afin de rester fidèle à l'œuvre originale. Le seul changement est constitué par le raccourcissement du générique de … la vie d'environ 30 secondes.

C'est dit !

Les deux séries ont tout de même subi une transformation cruciale puisqu'elles sont maintenant exploitées en 16/9. J'y reviendrai dans un très prochain billet.

© Hervé Lesage de La Haye, septembre/octobre 2017.

 
Sources :
— William Blanc et Christophe Naudin, Charles Martel et la bataille de Poitiers, de l'Histoire au mythe identitaire, Libertalia (2015). ISBN 978-2-918059-60-8
— Éric Aeschmann, « Depuis quand Charles Martel est-il un héros de l'histoire de France ? », L'Obs, 18 avril 2015.
— Lauren Provost, Jean-Marie Le Pen appelle à voter Front National et déclare "Je suis Charlie Martel" après l'attentat de Charlie Hebdo, huffingtonpost, 09/01/2015.
« Il était une fois l’homme : restauration 2K », Jérôme, Forgotten Silver, 22/11/2013.
 
Merci à Gilles Bourgarel, de Procidis, pour ses réponses.

jeudi 29 juin 2017

Je hais les journalistes

 
Pour JB.



Je hais les journalistes. D'ailleurs, mon plus vieil ami, mon meilleur ami, est journaliste. Je ne manque jamais de lui signaler quand un de ses confrères a écrit une bêtise ou fait la preuve indirecte de son ignorance. Vous écrivez vite, vous publiez vite, vous ne vérifiez rien, en particulier dans le domaine culturel (pour le judiciaire, c'est souvent plus rigoureux mais pour le culturel… j'aime le cinéma ergo je connais mon sujet ergo je ne vais quand même pas sortir un dictionnaire du cinéma ? donc je ne vérifie rien, cqfd).

Conséquence : si moi, lecteur, je lis un papier consacré à un sujet auquel je m'intéresse de près, donc dans lequel j'ai une culture solide, les erreurs tombent au cours de la lecture, comme des fruits mûrs. Je me rappelle la mort de Kubrick, en mars 1999 : pétri de tristesse et fétichiste, j'achète toute la presse que je peux trouver (quotidiens nationaux, régionaux, étrangers, hebdomadaires, revues de cinéma, j'en ai deux cartons) et ça ne loupe pas : dans 50 % des papiers, les mecs ne savent pas combien mettre de Y à Barry Lyndon. En mon for intérieur, j'éructe.

Tiens, cette semaine Télérama célèbre les cent ans de l'animation japonaise. Goldorak en couverture ! Incroyable. (On parle du supplément « Sortir », hein, faut pas déconner non plus). L'image choisie est un jpeg ignoble car beaucoup trop agrandi où les couleurs baveuses sont attaquées par des pixels aux contours bien visibles, dans un ensemble qui pourrait être la métaphore graphique de la dualité onde-particule. Cela serait-il passé si la couv était un Picasso ? (Au fond, j'espère que non.)

L'article, de deux pages, se tient. Amusant de voir que pour illustrer un siècle de création, les trois productions choisies tiennent dans un mouchoir de poche chronologique (1975 pour Goldorak, 1978 pour Albator le corsaire de l'espace, 1983 pour Signé Cat's Eyes) et qui sont toutes arrivées en France sensiblement au même moment et par le même canal — il ne manque qu'une statue à l'effigie de feu Bruno-René Huchez, mais pourquoi pas ?

On rappelle avec une pudeur de gazelle les polémiques qui ont accompagné l'arrivée de beaucoup de séries japonaises en France (pas toutes ! et il serait intéressant de se pencher sur ce sujet), et de fait ç'avait commencé fort, avec le fulguropoing Godwin « Goldorak est-il nazi ? »

En son temps, Télérama n'avait pas été le dernier à tirer à vue sur l'ambulance des « japoniaiseries » (néologisme qui avait beaucoup amusé mon père) crucifiées notamment (… je parle de mémoire, faudrait vérifier !) par l'excellent Bernard Génin et se laissant aveugler par quelques conventions bien visibles mais peu signifiantes (la qualité de Candy était-elle nécessairement inversement proportionnelle à la taille des yeux de l'héroïne ?). Je ne vais pas, trente ou trente-cinq ans plus tard, crucifier Télérama, que je n'ai jamais cessé de lire depuis que je sais lire, mais c'est intéressant de voir que la presse rate généralement les occasions de faire un brin d'autocritique, même les plus belles.
Deux pages qui ne mangent pas de pain, donc, et pour finir le fruit tombe, superbe : Stéphane Jarno ne sait pas écrire le nom d'Émile Cohl. Bon ben voilà. Ite missa est.


© Hervé Lesage de La Haye, juin 2017.