lundi 8 avril 2013

Les Cités d'or changées en plomb

Être amateur d'oeuvres télévisuelles, c'est souffrir. Cette idée s'est imposée à moi depuis une vingtaine d'années, depuis que j'ai vu le dessin animé Les Mondes engloutis massacré par TF1 lors d'une rediffusion, en 1991, et les années n'ont fait que la confirmer. Comme l'avait souligné en son temps feu le Front de libération télévisuelle, la vague montante des séries télévisées, notamment américaines, n'a en aucune façon été accompagnée d'un respect croissant des canaux de diffusion, et principalement des chaînes de télévision, à l'endroit des objets concernés. Episodes tronqués, diffusions dans le désordre, versions françaises édulcorées, images recadrées, ces maux sont devenus une épidémie avec l'avènement de la télévision numérique.

Ici même, j'ai récemment évoqué les avanies qu'a subi le dessin animé Albator le corsaire de l'espace au cours de trente années de vie sur les écrans français. Aujourd'hui, c'est une autre série animée, guère malmenée jusqu'ici, qui subit un véritable massacre — Les Mystérieuses cités d'or .

Co-production franco-japonaise de prestige, diffusée en France à partir de 1983, Les Mystérieuses cités d'or est peut-être la plus extraordinaire série animée de son temps, extraordinaire par les qualités de son scénario (qui a l'audace d'introduire des éléments de science-fiction dans un récit d'aventures historiques situées au XVIe siècle), et atypique à la fois dans sa structure (structure de la série, feuilletonnante, et structure de chaque épisode, qui inclut un résumé des épisodes précédents, une annonce de l'épisode suivant et un documentaire pédagogique en prise de vues réelles) et dans son mode de production (projet japonais sur lequel sont intervenus en cours de route le Français Jean Chalopin et son équipe).

Maintes fois rediffusée, la série a connu un destin vidéo similaire à celui d'Albator le corsaire de l'espace : parution en cassettes VHS vendues à l'unité chez AK vidéo à partir de 1996, puis sortie en DVD (sous l'étiquette AK Vidéo pour le circuit spécialisé, sous étiquette Sony pour le circuit généraliste), et innombrables rééditions et repackagings DVD au cours des années 2000. Ces différentes éditions n'ont jamais proposé autre chose qu'une image vieillie et la seule version française. Pour la première édition DVD, AK Vidéo n'avait d'ailleurs pas hésité à revendiquer le choix d'une résolution inférieure à la résolution standard du DVD, pour tenter de dissimuler les défauts de l'image.

En 2008, l'éditeur vidéo Kaze propose une réédition qui s'annonce comme haut de gamme, avec une image restaurée et un packaging luxueux. Mais le contenu reste proche des éditions précédentes : l'image a certes été améliorée, mais reste issue d'un master vidéo et non des films 16 mm d'origine. En 2013, Kaze annonce avec fracas ce qui pouvait constituer un événement considérable dans le monde de l'édition vidéo : la parution des Mystérieuses cités d'or sur support Blu-Ray, donc en haute définition, et partant des masters 16 mm. Pour la première fois, une série animée de l'âge d'or allait connaître les faveurs de ce nouveau support et, peut-être, en magnifier les qualités graphiques tout en consacrant le Blu-Ray comme le lieu possible de la redécouverte de tout un patrimoine télévisuel auquel le DVD n'a jamais vraiment rendu justice.

Puis Kaze a dévoilé une bande-annonce qui a laissé pour le moins perplexe. Enfin, le produit a été expédié à la presse et commercialisé. Il a fallu se rendre à l'évidence : en fait de coup d'essai, ce coffret Blu-Ray est un coup d'épée dans l'eau et une trahison.

Une trahison, parce que cette édition a été fabriquée à partir du même master que les DVD déjà connus, et non à partir des films 16 mm d'origine. Il n'y a donc aucun gain en terme de qualité d'image. Pire, afin d'exploiter malgré tout les possibilités du support et de vendre le produit sous l'estampille "haute définition", les alchimistes de chez Kaze ont fait subir à l'image un traitement destiné à la lisser, à la rendre plus propre, à lui donner l'apparence de la restauration. Le résultat, consternant, est la disparition de nombreux détails : côté personnages, les aplats de couleur tendent à ronger les traits de contour, et côté décors, beaucoup de petits éléments tendent à se dissoudre. Les documentaires de fin d'épisodes, eux, sont à ce point dégradés par ce traitement que l'image évoque plus la rotscopie ou la photo peinte. Détail ridicule ultime : le logo qui porte le titre de la série dans le générique d'ouverture a été refait et grossièrement collé par-dessus l'ancien, bricolage honteux qui n'aurait de toute façon pas été nécessaire si le master utilisé avait été de qualité.

DVD Sony (2000). Blu-Ray Kaze (2013). Les rais de pluie ont quasiment disparu, les traits du manteau également, ainsi que la texture du décor (la surface du mur et des planches de bois a été polie).

Un coup d'épée dans l'eau, parce que ce qui aurait pu constituer la tête de pont d'une réédition de séries animées contemporaines des Mystérieuses cités d'or dans un format haute définition est un objet éditorial d'une telle médiocrité que l'on ne peut lui souhaiter qu'une chose : qu'il passe inaperçu. En d'autres lieux, en d'autres temps, j'ai fustigé l'amateurisme qui présidait à l'édition de certaines bandes originales de dessins animés sur CD, mettant dans le même sac les éditeurs vidéo de l'époque (qui étaient les mêmes que les éditeurs de CD). Près de douze années ont passé, le pouvoir a en partie changé de mains, mais l'incompétence demeure et progresse même.

Les défauts de cette regrettable édition Blu-Ray ont principalement été pointés sur les forums ainsi que dans les commentaires d'Amazon ; à l'heure actuelle les critiques un peu plus institutionnelles font preuve d'une relative discrétion. Fait remarquable, toutefois, le magazine spécialisé AnimeLand, qui année après année a élevé l'art de ménager la chèvre et le chou au rang de discipline olympique, attribue à ce coffret une note globale inférieure à celle que recevait l'édition DVD Kaze de 2008, et précise sobrement que « les contours des traits ont été comme grignotés » et que « lorsque des personnages sont à l'arrière plan » ils en deviennent « presque flous ».
Blu-Ray Kaze (2013). Les visages des personnages sont comme gommés.
Blu-Ray Kaze (2013). Peut-être l'élément le plus surréaliste de cette "restauration" : les documentaires de fin d'épisode, qui ressemblent maintenant... à du dessin animé. Valse avec Bachir n'est pas loin.

Le fiasco de Kaze, sur cette édition, du reste, ne me surprend qu'en partie. Je n'oublie pas qu'en 2009, lors d'une réédition des Mondes engloutis en DVD, cet éditeur n'avait pas hésité à illustrer le menu du DVD par une musique directement récupérée... sur mon propre site web. Il faut dire que l'extrait en question (la face B du 45 tours des Mondes engloutis) est tiré d'un morceau jamais paru en CD ; je peux comprendre que Kaze ait eu du mal à se le procurer. On comprend moins bien que le concepteur du DVD se soit contenté d'un affreux MP3 bricolé par moi il y a plus de dix ans avec du mauvais matériel à partir d'une mauvaise numérisation du 45 tours ; il aurait suffit de m'envoyer un email pour se procurer une version bien meilleure, que j'ai acquise entre temps mais pas ajoutée à mon site. Mais non : précipitation, ignorance, goût de la facilité, choix de la discrétion pour ne pas payer de droits ? Kaze s'est contenté de ça, qui reste largement digne des menus que cette musique illustre, au demeurant.

Que peut-on plaider, aujourd'hui ? La cause des Mystérieuses cités d'or semble entendue : dix années passeront sans doute avant que voie le jour un nouveau transfert enfin issu des films 16 mm d'origine. D'autres séries, d'un rayonnement comparable, mériteraient évidemment de connaître les honneurs de la haute définition à partir des pellicules de jadis. Mais qui, pour s'y risquer, et investir dans un travail de qualité ? Aujourd'hui, personne, assurément.

En ce mois d'avril 2013 commence sur TF1 la diffusion d'une suite aux Mystérieuses cités d'or. Je pourrais évidemment dire ce que je pense et du projet, et de ce que j'en ai vu jusqu'ici... mais je vais m'abstenir.

© Hervé Lesage de La Haye, 2013.

Source
Captures d'écran : http://www.catsuka.com/interf/forum/viewtopic.php?f=1&t=7028&start=584

Post-scriptum

Beaucoup de choses ont été publiées sur Les Mystérieuses cités d'or, mais peu de contributions ont su éclairer les conditions de production de cette série, opacifiées par un générique français largement incomplet, sinon fantaisiste. Je ne saurais trop recommander la lecture du blog suivant, hélas anonyme, où pour la première fois justice est rendue aux véritables scénaristes et réalisateurs japonais de la série, et où sont décortiquées les principales différences entre le doublage français et la version originale japonaise, tant dans le dialogue, avec son lot d'erreurs de traduction, que dans l'utilisation de la musique et des bruitages. L'ensemble est tout simplement passionnant.
http://estebantaozia.blogspot.fr/

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